Le Kyrk-Kyz ou comment quarante filles de l’Uzbekistan s’arment de courage pour le leadership
La région d’Asie centrale abrite cinq pays situés dans les bassins du fleuve Syr-Darya et Amou-Daria : Kazakhstan, Kirghizstan, Tadjikistan, Turkménistan et Uzbekistan. Dans les zones rurales où vit 63% de la population, le moyen d’existence est lié à l'agriculture irriguée qui emploie plus de 85% de toutes les ressources en eau. Le bien-être des populations rurales dépend de l'approvisionnement en eau, de l'allocation équitable de l'eau et d’une gestion sage de l'eau basée sur le Genre.
Les réformes agraires introduites au cours des dernières années ont eu pour conséquence la mise en place de centaines de milliers de fermes privées au lieu de fermes collectives. Cette situation a entraîné des changements de pratiques de gestion de la ressource en eau, y compris la transparence au niveau de l'information, la sensibilisation et la participation publiques. Les fermes privées devaient s’unir et mettre en place des Associations d'usagers de l'eau (AUE). Le canal Sud de Ferghana dans la vallée de Ferghana fournit de l'eau à plus de deux mille fermiers qui cultivent principalement du coton et du blé sur une superficie de 85 000 hectares. Ce n'est pas une tâche facile de distribuer de l'eau équitablement à tant d’usagers. Une femme, Mastura Saifutdinova, a été élue présidente du conseil de l’AUE. Mastura est également la présidente du Comité de l'eau du canal, mis en place pour impliquer une organisation publique dans le processus de gestion de l'eau. Le comité assure l'organisation de la gestion gouvernementale du canal et l’AUE publique et défend les droits et intérêts de tous les intervenants. Mastura a trouvé de l'argent pour la construction des canalisations d’eau pour deux grands villages où les gens devaient puiser l'eau dans les fossés. Sa position honorable aide à une participation plus large des femmes dans l’AUE.
Interrogée sur la raison pour laquelle elle a été élue, elle répond : (c’est) « vraisemblablement, en raison de mon expérience professionnelle en agriculture, en gestion de l'eau et en leadership. ».
Dans une nouvelle ferme d'Etat créée en 1980 dans la vallée de Ferghana pour cultiver des grenades, quarante filles ont formé une brigade et l'ont appelée "Kyrk-Kyz". Elles étaient très jeunes alors et ont travaillé ensemble pendant de nombreuses années. Mastura les a toutes réunies et en était le chef. Actuellement, il y a 600 producteurs dans son AUE et 40 d'entre eux sont des femmes. En ces moments difficiles, son Kyrk-Kyz a assumé la responsabilité de la gestion privée de la ferme.
2008 a été une année sèche. Déjà dès le début de l'été, les pénuries d’eau étaient manifestes. Le conflit était attendu. En règle générale, même si le gérant de la ferme est un homme, son épouse résout les conflits de l'eau. Très souvent, pendant la période de l'irrigation, il est nécessaire de s’asseoir et de surveiller la sortie de l'eau jour et nuit. Des conflits surviennent sous la forme de combat au corps à corps pour l'accès à l’eau. Afin d’éviter l'utilisation de la force pour le règlement des conflits, les femmes s’occupent de la sortie de l'eau à la place de leurs maris et fils qui en suivent la distribution.
Les femmes rurales, notamment les ménagères, étaient chargées de la survie de la famille dans des conditions de sécurité sociale de plus en plus précaires et d’un chômage masculin au rythme de la désintégration de l'Union Soviétique. Tandis que les hommes s'adaptaient avec difficulté à la situation et émigraient souvent, les femmes ont appris depuis lors à traiter des questions peu familières qui constituaient par le passé des prérogatives masculines.
Pendant l’ère soviétique, les femmes effectuaient tous les travaux des champs dans les fermes collectives. Après de nombreuses années, elles ont appris à cultiver la terre et à irriguer les cultures. A partir de cette expérience, celles d'aujourd'hui assument courageusement la responsabilité de la gestion de la ferme. Elles irriguent, participent à la distribution de l'eau et trouvent les outils pour le labour des terres, etc., parce que les circonstances les forcent toutes à le faire.
Le facteur majeur du succès de Mastura est qu'elle n'a pas peur des "hauts responsables". Les femmes au niveau local ont généralement moins de crainte que les hommes quand il s’agit de négocier avec les autorités municipales locales ; elles parviennent ainsi à surmonter les barrières.
L'installation de fermes privées est associée à divers problèmes. Très souvent, les hommes ruraux, sans connaître la loi, perdent courage et abandonnent. « Assez étrangement », selon M. Shukharat Mukhamedjanov, un des chefs de projet GIRE dans la vallée de Ferghana, « une femme agit différemment dans de telles situations. Si elle estime qu'elle ne connaît pas quelque chose, elle cherche une explication et veut que l’on lui montre la loi appropriée. S'il est impossible de résoudre ses problèmes et satisfaire ses besoins au niveau local, elle n'a pas peur, comme c’est souvent le cas en pareille circonstance avec les hommes, de s’orienter vers un niveau plus élevé d’autorité ».
Il cite un autre exemple. « Dans le cadre du projet GIRE de Ferghana, un séminaire a été organisé pour les fermiers dans le rayon (district) de Kuva. Plus de 150 producteurs y ont participé dont 15 fermières. Seules les femmes ont donné des réponses aux questions soulevées et marqué un vif intérêt pour tous les problèmes liés à la production agricole et à l'allocation de l’eau et aux pistes de solution. Bizzarement, les hommes n'ont pas fait montre d’une telle initiative ; non pas parce qu'ils savent tout ou n'ont pas de problèmes. Ils se sont vraisemblablement contenus à cause de la présence des autorités du rayon. Les hommes étaient peu disposés à s'exprimer, mais les femmes ont librement exprimé leurs points de vue et critiqué les chefs de rayons. Elles ont, seules, forcé les chefs négligents à penser à résoudre les problèmes des fermiers ».
Il apparaît que la solution des problèmes d'un plus grand groupe de personnes peut être gérée par des femmes. Après tout, il n'est pas acceptable qu’un homme lève la main sur des femmes ou crie sur elles ou les jettent dehors, alors qu’elles travaillent si dur, viennent de si loin et ne sont pas facilement subornées.
Tout ceci confirme la raison pour laquelle Mastura est le chef, non seulement de sa ferme, mais aussi la gestionnaire de l'Association des usagers de l'eau. Elle n’a pas reçu une formation spéciale en gestion de l'eau. Aujourd'hui, en tant que présidente du grand Comité d'usagers de l'eau de canal, elle fait le plaidoyer de la distribution équitable de l'eau avec courage. Pour plus d’informations : Galina Stulina, SIC ICWC, Karasu 4-11, Tashkent, Uzbekistan